As-tu jamais ouvert un nuancier ? C’est ce jeu de cartes qui, à partir des trois couleurs primaires, présente une gamme, une infinie palette de couleurs qui nous ouvrent à la richesse, à la fécondité du réel qu’on a oublié de voir et contempler. Intensité ou légèreté, luminosité ou obscurité, chaleur ou froideur des couleurs qui varient par degrés infinitésimaux, le nuancier n’est jamais dualiste. Et quand il faut rompre le silence, la parole s’apprivoise et s’élève dans l’art de la nuance.
Beauté. Avec la nuance, ce n’est pas le diable qui est dans le détail mais le beau. La nuance est l’art des transitions. Il y a de la douceur dans la nuance, souvent un geste de paix, d’ouverture, mais rien d’émollient, de lâche. Bien au contraire, la nuance est exigeante, elle nous mobilise dans la recherche de la précision. La nuance avance avec esprit de finesse. Mécanique de l’affleurement de l’adverbe et de la pointe de l’épithète choisi avec justesse pour teinter les mots.
Force. Pourquoi la nuance ? On pourrait se contenter de grosses évidences, toujours choisir son camp. Pas de nuances sur un panneau indicateur : le rouge est mis, c’est interdit. Non, l’art de la nuance est plus fort que tous les jugements à l’emporte-pièce tonitruants. La nuance n’est pas pour autant un relativisme paresseux. La nuance sait viser juste. Derrière son apparente faiblesse, la nuance est une force. Celle qui préfèrera toujours le chemin de crête de recherche de la vérité, de l’exactitude à l’autoroute des conformismes.
Sagesse. La nuance est la politesse des mots, la civilisation du verbe. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Albert Camus dans un article en hommage au philosophe Brice Parrain. Humilité aussi de la nuance que sert si bien l’humour. Entendre et sous-entendre. La nuance comme une salutaire gymnastique d’intelligence du réel. La vie en couleurs.