Alzheimer, maladies neurodégénératives, disent-ils. Tu as perdu la tête, disait-on autrefois. Tu es absente. Où est ton esprit quand tout se tait en toi ? Où plane ton âme ? Est-elle comme au commencement du monde, comme dans le texte de la Genèse : “Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut“. Je te regarde. Où est passé la lumière, ta lumière ? Je veux la voir dans ton sourire mais c’est une autre lumière, indéchiffrable, comme si elle venait d’une autre rive. Un deuil qu’il nous faut déjà porter de ton départ, un deuil blanc. Innocence.
Que vaut ta vie présente ? Elle vaut ce que valent toutes vies dans leur égale dignité. Dans ta vulnérabilité évidente, dans ton mystère sacré. Ta dignité, ceux (et d’ailleurs plutôt celles) qui prennent soin de toi au long des jours la respectent et te l’assurent. Vestales modernes que sont ces milliers d’aides-soignantes, aides de vie à qui notre société délègue le soin des plus faibles, de ceux qu’on ne veut plus voir.
Grande dépendance, disent-ils. Mais aurions-nous oublié que nous sommes tous dépendants les uns des autres ? Je ne suis pas l’entrepreneur autonome de ma petite vie. La vie est donnée et toujours partagée. Fraternellement. Seulement, certains sont plus dépendants que d’autres, comme certains sont plus égaux que d’autres. Tu es dépendante, je suis dépendant. Toute vie dans sa dignité et son secret plus grand que nous. Notre dépendance fraternelle, notre commune fragilité, comme une porcelaine translucide.