Il faut aimer les ponts, pont de singe, petit pont de bois, pont roman ou pont glorieux, viaduc ou pont suspendu. À la différence du chemin bien terre à terre, de l’eau qu’il domine, le pont nous fait marcher dans l’air. Le pont comme enjambement et surpassement. Quiconque a circulé sur le viaduc de Millau a ressenti cette émotion aérienne. Les ingénieurs ou bâtisseurs ne se contentent pas de construire des ponts. Ils trouvent des mots à la hauteur de leur ambition : on lance un pont sur le fleuve, on jette un pont, comme une espérance déjà réalisée. Le pont comme une flèche et déjà un arrimage.
Sous les ponts, j’aime les arches qui portent cette flèche. Rondeur rassurante, profondeur et épaisseur de ces arches de ponts romains ou romans. Ponts qui enjambent les siècles plus encore que leur rivière familière. Bien sûr, avant le pont, il y a le gué, mais le gué n’est qu’un point de suspension, un pointillé de pierres par rapport au pont. Il faut aimer les ponts car ils sont toujours de solides traits d’union. Un pont, deux rives qui s’embrassent.
Et sur le pont, on y danse, même si à Avignon le pont Bénezet s’est perdu dans le Rhône. Liberté du pont. Tous les fantassins ont appris qu’il ne faut pas marcher au pas sur un pont. Le pont n’aime pas les pas cadencés qui le font onduler. Alors il se défend contre la botte de la soldatesque. Le pont est faiseur de paix. Il faut aimer les ponts conciliateurs.