« Deux oreilles pour une seule bouche », rappelaient les anciens, reprenant les mots de Denis l’Aréopagite pour qui, l’homme ayant deux oreilles et une bouche, il faut donc écouter deux fois plus qu’on ne parle. Faire l’éloge du silence n’est pas pour autant disqualifier le bruit, la parole, la musique, le son des vagues qui se brisent sur la côte ou du vent qui sifflent dans les feuilles. C’est comprendre que le silence est précieux. Précieux car il est rare, de plus en plus rare. Aujourd’hui, le silence se cherche et ne se trouve qu’à condition de le vouloir. Il faut entrer dans le silence, apprivoiser le silence pour pouvoir vivre le secret de l’intime.
Dans le tumulte du bruit qui nous entoure, des mots qui nous arrosent – ou nous agressent – en permanence, le détour par le silence peut seul nous permettre de retrouver la force de la parole, la fraicheur des mots, les entendre à nouveau pour être en capacité d’écouter. Silence et stabilité, le silence est un éternel présent, silence de cloître et de cathédrale, silence de pierre. Par l’apprentissage du silence, on quitte les rives des définitions conceptuelles, des conditionnements préexistants pour se préparer à aborder dans un nouveau pays, avec une langue étrangère, ou plutôt une langue oubliée, celle des images et des symboles. Gaston Bachelard, dans une célèbre conférence, Le Dormeur éveillé, déclarait : « Notre appartenance au monde des images est plus forte, plus constitutive que notre appartenance au monde des idées. »
Quand on se tait, on regarde le monde différemment. Et toujours l’inattendu arrive. L’invisible est le vrai silence, le seul secret. Silence de l’air et de la lumière. De même que nous ne voyons pas l’air que nous respirons, que nous n’en sommes pas conscients, nous ne voyons pas la lumière. Nous voyons seulement les objets que révèle la lumière. N’en est-il pas de même de notre rapport à l’ultime vérité ? Dans le silence.
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