Sur un bateau, le quart est cette fraction de temps pendant laquelle un marin est aux commandes et veille à la sécurité du navire. Jour et nuit, les hommes d’équipage se relaient à la barre pour surveiller la météo, éviter les abordages et conserver le cap. En anglais, le quart se dit “watch“, regarder, observer. Nous aussi, nous avons besoin de prendre régulièrement le quart à la barre de la vie, besoin d’entrer dans des rendez-vous quotidiens d’observation et de méditation.
Plus je m’y conforme, plus je me rends compte que cela n’a rien à voir avec un exercice volontariste de surveillance et de contrôle. Pendant son quart, le marin se fond avec le bateau jusqu’à en percevoir tous les sons, le craquement de la coque, les vibrations des haubans, il fait un avec l’océan, avec le vent et les étoiles dont il a appris à lire les signes. Moi aussi, quand je prends le quart dans la pleine présence de ma méditation, le plein regard, je veux fondre ma respiration dans la grande respiration du monde, m’accorder à l’infini océanique, devenir l’océan. Conscience de soi universelle à laisser croître. Seulement laisser croître.
Au-delà du tumulte et de la vitalité du monde, de la multitude des êtres vivants et des lois de la nature, par la contemplation nous accédons à l’infini. Moments de vérité éternelle où nous entendons la coque du monde craquer, les mats de l’activité des hommes vibrer, où l’océan et les étoiles nous parlent, où le divin fait signe. Chaque jour, que le vent souffle dans les voiles, que la tempête menace ou que mon frêle esquif reste accalminé dans la banalité, je veux prendre le quart. Rejoins-moi pour prendre la barre toi aussi. Pendant que les autres passagers vaquent à leurs occupations ou se reposent, l’homme de quart veille. Notre monde a besoin d’hommes de quart.
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