Regarde bien le galet. As-tu observé la différence entre la pierre façonnée par le ciseau de l’homme et le galet poli par l’océan ? La première ne trouve sa beauté que dans l’assemblage qui fait la cathédrale, le second nous parle de beauté au singulier, quand on l’a retiré de la masse pour en contempler l’unicité. Pourquoi aimons-nous les galets ? Ils nous parlent de nous, de l’océan, de l’éternité. Nulle âpreté dans le galet. La pierre rugueuse s’est arrondie, devenant douce et lisse. Le galet comme œuf de l’océan. Paradoxe : ce galet roulé par la violence des vagues est symbole d’apaisement. Il s’est transformé, arasé par les épreuves qui, seules, pouvaient l’enfanter de la pierre originelle.
Dans le torrent de montagne, ce sont les grains de sable qui, entraînés par le courant, polissent la roche. La pierre s’est arrondie sans bouger de son emplacement. Sur le littoral, ce sont la vague et les mouvements de la mer qui polissent les galets en les frottant les uns aux autres. On voudrait laisser l’océan nous polir comme le galet qui ne connaît pas l’irrémédiable du sablier. Pourtant, malgré son apparente éternité, le galet s’érode encore. Mais, dans une lente mesure du temps qu’il écrit au présent infini.
Dans certaines civilisations, on empile les galets, comme pour marquer le bornage d’un chemin vertical. Vers quel ciel ? Regarde le galet, regarde le nuage. D’une même voix, ils nous parlent de plus grand que nous, de l’océan et du ciel. Besoin de galets comme autant de petits cailloux sur le chemin de l’essentiel, l’infini au-delà de notre temps individuel et de la limite de nos constructions humaines. Dans le jardin Zen, le galet est l’élément d’une cosmologie retrouvée. Dans mon champ de vision, il est messager du sentiment océanique et de la beauté du monde. Il nous parle du mystère d’une courbe ineffable qui abolit l’anguleux.
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SENTIMENT OCÉANIQUE 