Demain de Pâques. Les fêtes chrétiennes sont plus que des commémorations. La liturgie est mémoire et réactualisation permanente. Ma vie comme au soir sur le chemin d’Emmaüs, en récapitulant tant d’étapes et d’épisodes de mon parcours que je n’avais pas encore relus. « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous tandis qu’Il nous parlait sur la route, et qu’Il nous faisait comprendre les Écritures ? » (Lc 24,32). Seulement répondre : « Reste avec nous : le soir approche et déjà le jour baisse ».
Les disciples d’Emmaüs : comme moi, deux imbéciles qui n’ont rien vu jusqu’à la fraction du pain et alors ce constat le plus beau, le plus émouvant : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? ». Une nostalgie de la présence divine avant même qu’ils ne reconnaissent, une intuition de la proximité du divin : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Et ce Christ ressuscité qu’ils reconnaissent et qui disparaît à leur regard. Absence et présence. Tout est dit. Reconnaître avec un cœur brûlant qui devient force d’âme. Aspiration devant l’infinie béance d’amour.
Il nous faut quitter les rives du prosaïque, nous ouvrir à ce que le philosophe Jean Guitton appelait l’intelligence contemplative. Pour moi, Emmaüs a été le point de départ d’une correspondance avec Guitton, moi le lycéen de classe terminale et lui l’académicien chenu, l’ami de Paul VI. De sa petite écriture serrée, à l’encre verte ou noire, Guitton qui disait : « Si l’on m’envoyait en exil dans une île avec un seul livre, je prendrais l’Évangile de Saint Luc. Et si l’on ne m’autorisait à garder qu’une page, ce serait celle des disciples d’Emmaüs ». Emmaüs, étape essentielle sur mon chemin aussi : je me souviens de l’odeur du jasmin dans la lumière de septembre, avec les Pères de l’école biblique de Jérusalem, sur le site même de l’épisode évangélique. Jasmin de ma mémoire, mon cœur n’était-il pas brûlant… Mais déjà le jour baisse et je Te reconnais. Reste avec nous.
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Illustration : les Pèlerins d’Emmaüs (détail), par Pierre-Toussaint Lechevalier, d’après Le Titien. Église Sainte-Valérie du Moutier de Felletin (Creuse).