Je veux parler aux vivants avec autant de respect qu’on doit à la figure sacrée des morts, et parler aux morts avec la même proximité que je m’adresse aux vivants. Les vivants comme les morts sont présents parmi nous si nous sommes présents avec eux. Avec qui suis-je ? Avec toi dans la trivialité de notre rendez-vous de travail. Je sais qu’au-delà de notre bavardage et de nos arrangements, il y a ta personne sacrée, tes secrets que je ne connais pas et que tu ne connais peut-être même pas toi-même. J’ai failli ne pas te rencontrer quand j’ai commencé à te jauger avec mes préjugés, cette buée qui m’empêchait de te voir avec ton âme présente en face de moi, infinie. Toi, si loin et si proche.
Je sais avec qui je chemine. Je chemine avec vous mes frères bien vivants mais il est aussi des morts qui m’accompagnent chaque jour, à qui j’adresse des messages silencieux, des clins d’œil affectueux, comme il est des vivants que je n’ai pas vus depuis des décennies à qui je pense régulièrement parce que je les ai aimés et que je les aime toujours, tendrement, au-delà des fuseaux horaires et du poids des ans. Je me remémore ta voix, toi l’absent, aussi concrètement, aussi fidèlement que possible, toi que j’aime, mort et vivant, en craignant un jour de ne plus percevoir ta voix dans mon oreille et de te pleurer alors, disparu. Toi, si loin et si proche.
Avec qui suis-je ? Avec vous que j’aime, vivants et morts, dans votre présence invisible sur le vaste océan. Au-delà de l’horizon, dans cet infini que je ne vois pas mais que je sais là. Sur cet océan infini où l’ultime réalité s’appelle amour. C’est ce qui nous relie. Ce qui, à la fois, nous lie et nous libère. Car il n’est de solide et de seul vrai lien que d’amour. Avec toi que je sais si loin et si proche.
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