Quelle place faites-vous dans vos journées à la vie de l’esprit ? Rien n’est possible sans la pratique. Que dirait-on d’un pianiste qui prétend maîtriser son art et ne fait pas ses gammes, d’un sportif qui ne s’entraîne pas ? La vie spirituelle n’est pas une vague notion intellectuelle, c’est une expérience vécue et à faire vivre sans cesse. La spiritualité s’éprouve comme on éprouve un amour ou un élan. C’est une fleur qui a besoin d’être arrosée pour s’épanouir.
Pour que la vie de l’esprit ne reste pas un fantasme, il faut lui faire de la place dans notre quotidien. Pour autant, il ne s’agit pas de lui assigner un créneau dans notre agenda, de la caser entre une séance de fitness et un cours d’anglais puis de refermer la parenthèse. Il s’agit d’ouvrir une brèche, pour désencombrer la source qui ne demande qu’à sourdre et à irriguer spirituellement tous nos jours. Pour désencombrer cette source, il faut d’abord dégager du temps, se créer des rendez-vous (temps de silence, de méditation, lectures inspirantes, marche solitaire…), des repères qui seront autant de rappels (objets symboles ou nouvelles habitudes). L’important est que ces rendez-vous avec vous-mêmes soient réguliers. Ils vous permettront d’entrer chaque fois un peu plus au-dedans de votre vie intérieure pour rejaillir ensuite sur toutes vos heures. N’oubliez pas, la fleur a besoin d’un arrosage régulier. Apprenez à aimer ces moments qui sont votre intimité, votre secret. Secret, au sens où vous ne pourriez rien en mesurer dans un bilan. Secret, parce que, petit à petit, vous allez vous familiariser avec l’ineffable, ce sur quoi on ne peut rien dire et qui pourtant dit tout. Intime, car votre cheminement s’accomplit dans la solitude, pas dans l’isolement car vous allez être relié au monde et aux autres, mais bien dans l’intimité d’une démarche infiniment personnelle. « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur », dit l’Évangile (Mt 6,21). N’ayez pas peur, c’est un temps de douceur, un temps pour l’écoute, pour recevoir ce que la vie vous a déjà donné et vous donne encore en abondance. Tant de choses qu’on ne savait plus voir, de sons qu’on ne savait plus entendre, de saveurs qu’on ne savait plus goûter.
» Comme le veilleur attend l’aurore… »
Affûtez vos sens pour écouter cette petite musique des jours bien différente des bruits du quotidien, apprenez cette nouvelle géographie, orientez-vous. Qu’est-ce qui est le plus important dans ma vie ? Quel sens ? Où est le bon sens, la bonne direction ? Ne soyez pas trop volontariste. Laissez-vous façonner comme l’argile est façonnée par le potier. Rien n’est possible sans cette expérience vécue, sans cette pratique fidèle, voire routinière. Donnez du temps à ce temps consacré, ce temps préservé pour la vie intérieure.
Veillons. Une fois qu’on a ouvert la brèche de l’activité spirituelle dans notre vie quotidienne, veillons à ce qu’elle ne se referme pas. Qu’est-ce qu’un veilleur ? C’est celui qui est vigilant, celui qui voit plus loin, pendant les autres dorment. « Comme le veilleur attend l’aurore, mon âme attend… » dit un psaume biblique (Ps 129). Mais le veilleur ne veille pas seulement pour lui-même, il veille pour les autres. Quand on entre dans la pratique spirituelle, on devient veilleur pour le monde. L’expérience intime prend alors une dimension universelle.
Pourrais-je vous en dire plus pour vous inviter à entrer dans cette expérience, dans cette pratique ? Je vous laisse savourer ces paroles d’Ibn Arabî, visionnaire et poète soufi, qui peuvent si bien convenir à ce que nous évoquons : « Si l’on te somme de prouver la “science des secrets divins”, demande à ton tour de prouver la suavité du miel. On te répondra qu’il s’agit là d’une science gustative. Seul celui qui a goûté connaît ».
Retrouvez l’ensemble des textes déjà parus, dans la rubrique Archives – © Jean Dumonteil.