La vie comme un temps de rencontre

«La vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontre». Cette phrase du Pape François, lue dans sa récente encyclique consacrée à la fraternité, Fratelli Tutti, résonnait en moi quand j’ai découvert plus loin dans le texte papal qu’elle était inspirée par une chanson brésilienne avec les mots de Vinicius de Moraes, poète et diplomate, qui éclataient dans une samba devenue un standard de la musique bossa nova brésilienne : «La vie, c’est l’art de la rencontre, même s’il y a tant de désaccords dans la vie». 

Le poète a toujours raison… et le pape avec lui. Toute vie naît d’une rencontre, ovule et spermatozoïde, mais surtout de la rencontre d’un homme et d’une femme, d’une histoire, d’une conversation. Sans rencontre pas de vie, ou alors un fantasme de clone qui ne sera jamais que l’ombre de nous-mêmes. La vie est donc temps de rencontre pour nous faire advenir avant même que nous existions. La vie est là avant-même le début de notre existence physique. C’est un thème qu’on retrouve dans toutes les traditions spirituelles, « dès le sein de ma mère », temps d’avant qui est déjà celui de la rencontre. 

Ce temps est plus vaste que le temps chronologique, celui qui nous conduit de la naissance à la mort, ce temps qu’on retrouvait inscrit sur les cadrans solaires de l’antiquité, décrivant la course des heures : « toutes blessent et la dernière tue ». Le temps de la rencontre est plus fort que le temps de nos chronomètres. C’est le temps qui fait événement, momentun, de ces moments que nous vivons pleinement, qui nous remplissent de leur présent, de leur densité, de leur éternité. C’est dans ce temps que se produit la rencontre, que se joue aussi la rencontre entre le temps qui passe, l’heure qui avance, et le moment qui advient pour peu qu’on veuille bien le faire advenir et l’accueillir. 

Dimension temporelle et aussi spatiale. Aux enfants timides, on dit que pour avancer l’escargot doit sortir de sa coquille. Dans la rencontre, il y a toujours un déplacement, une sortie de soi. Le voyage ne va pas sans la rencontre et réciproquement. La rencontre va avec le chemin, s’insinue dans nos parcours. Chaque rencontre est événement. Rencontres formatrices et voyage transformateur dont la plus belle figure est celle d’Ulysse dans son retour vers Ithaque. Que de rencontres, que d’épreuves dans son retour chez lui, comme dans tout cheminement qui finalement nous ramène toujours… chez nous. Comme pour nous permettre de savoir où nous habitons. 

Dans l’hospitalité de la rencontre

La rencontre, ce sont des cheminements qui se rejoignent et qui prennent le temps de faire halte. La rencontre, c’est le moment qui permet d’habiter et la vraie rencontre suppose l’hospitalité. Dans les trois religions du Livre, c’est l’histoire d’Abraham qui accueille les messagers de Dieu, qui apprend à les reconnaître, dans la Genèse de la Bible ou dans la Sourate des ouragans du Coran qui nous dit : « Quand ils entrèrent chez lui et lui dirent : “Paix !“, Abraham leur répondit : “Paix ! Gens inconnus ! “» (Coran 51, 25). Oui, toutes les rencontres sont accueil de l’inconnu, de la surprise comme étincelle, prémisse de la rencontre authentique, pour peu que nous soyons prêts à accueillir l’inattendu, qui n’a d’inconnu que l’apparence puisque, là encore, on va apprendre à reconnaître. 

Dans la rencontre, le corps parle, les bras s’ouvrent. Comme une apparence, une silhouette s’avance, se détache sur l’horizon et chemine. Elle approche jusqu’à devenir un regard, un sourire, à être en face de moi la vérité d’un homme corps-esprit-âme, mon frère, que je vais entendre, écouter dans l’hospitalité de la rencontre. Dans la confiance, et le courage d’aller vers l’autre, courage que les anciens traduisaient par le mot force, force d’âme, qui permet de surpasser tous les préjugés, les conditionnements pour avoir la force d’aller à la rencontre de la vérité de l’autre, de sa différence et de sa ressemblance, dans la gratuité. 

Je suis l’hôte et je vais apprendre. Magie de ces deux mots parlent dans deux sens, comme s’ils étaient eux-mêmes une rencontre parfaite de significations réciproques : hôte qui reçoit et qui est accueilli, apprendre comme on enseigne et on est enseigné. C’est tout cela la rencontre. «La vie, c’est l’art de la rencontre, même s’il y a tant de désaccords dans la vie». Saravah ! Dans l’encyclique papale, cette phrase était écrite entre guillemets et accompagnée d’une petite note de bas de page qui renvoyait à une référence : Vinicius De Moraes, Samba de la bendición (Samba da Bênção), Rio de Janeiro, 2 août 1962. Voici le lien pour rencontrer la voix de Vinicius, poète et diplomate, lui qui nous disait : « Seule la poésie, grâce à l’humilité de sa voix, pourra sauver ce monde »

L’image illustrant ce post est extraite de l’icône de la Trinité, icône russe peinte par Andreï Roublev entre 1410 et 1427, dont le sujet est l’hospitalité d’Abraham.

Retrouvez l’ensemble des textes déjà parus, dans la rubrique Archives – © Jean Dumonteil.

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