Ce que nous ne voyons pas est plus important que ce que nous voyons. En avons-nous conscience ? Sommes-nous comme le poisson, au milieu de l’océan, qui interroge : « Il est où l’océan ? ». Nous ne savons plus voir. Nous ne voyons que l’écume des jours et nous oublions la réalité de l’océan. Nos explications raisonnables sont toujours trop étroites, réduites à ce que nous percevons.
C’est comme si on tentait d’expliquer le phénomène vital sans connaître l’air parce qu’on ne le voit pas. Regardons le ciel et la cime des arbres, leur frondaison et nous ne verrons plus le monde de la même façon. “Regardons“ l’air que nous ne voyons pas, il porte les avions comme l’océan porte les bateaux. L’air est là indispensable, comme tant de choses que nous ne voyons pas ou que nous avons oubliées. L’air est ce qu’il y a de plus important, souffle vital. L’invisible est ce qu’il y a de plus important et nous ne le savions plus.
Le monde d’en haut, la pièce d’â côté, la vie intérieure, quels sont les mots pour parler du seul réel, de ce réel que nous ne savons pas voir ? Ce réel au-delà des apparences est l’invisible. L’invisible n’est pas le contraire du visible, c’est le contraire de l’apparence, de l’illusoire, il est comme le silence par rapport au bruit, ce silence plein qui ouvre une relation infinie au temps et à l’espace, ce silence qui nous invite à taire nos agitations, nos impatiences, qui nous ramène à l’essentiel. Quand on a goûté le silence, on aime le silence comme le navigateur, sorti du port aime l’immensité de l’océan. C’est tout simplement la même destination avec l’invisible. Larguer les amarres, sortir des clapotis du port, relever l’ancre de nos attachements, de nos certitudes et conditionnements. Entrer dans l’invisible. Oui, entrer car c’est à l’intérieur que se trouve l’invisible. Entrer comme on franchit un voile au-delà des apparences.
L’invisible, c’est là que se manifeste la force de l’amour, l’énergie universelle. Il n’y a pas de matière, tout est énergie. Renversement de l’apparence, le temps est éternité dans le présent que nous vivons. Vitalité et tumulte du monde, multitude des êtres vivants, loi de la nature, infini de l’univers. À tout cela répond le cœur du vivant, cœur qui bat au rythme de la respiration, souffle éternel, esprit fécondant. La vie comme un fleuve, le fleuve qui ne se comprend que dans sa source jaillissante, si petite qu’on ne peut soupçonner, imaginer la promesse de cette source. Confiance. L’accomplissement du fleuve, c’est l’océan.
Il n’y a pas à ré-enchanter le monde. Il y a seulement à prendre conscience, à recevoir et accepter que le monde est “enchanté“, plus sacré, plus beau que ce que nous en voyons prosaïquement, qu’il est sacré tout simplement. Et que nous ne savions plus le voir. Plus mystérieux, complexe, que nous ne savons plus tout ce que nous en savions.
Recevoir et accepter cette vision du réel. Et tout ce sera tellement simple… Simple ne veut pas dire facile. Pour changer de regard, de plan, voir autre chose que ce que nous voyons superficiellement, nous devons fortifier notre intelligence spirituelle, lui accorder chaque jour du temps pour penser large, accueillir, contempler, louer et rendre grâce. Tout est déjà là et nous ne l’avions pas vu., obsédés, aveuglés par les fausses évidences et nos courses illusoires. Entrons donc dans l’incréé, le réel, vivons l’éternel présent ou tout est mû par la force de l’amour, l’énergie du pur amour. Avec un mot de passe qu’on voudrait universel : Aimer plus, jugez moins. Entrer dans la confiance. Évacuer les idôles pour être avec l’Ultime Réalité qu’on appelle Dieu, plus grand que toutes les représentations que je pourrais en faire, si simple et proche. Retrouver la simplicité de l’enfant, admirer l’abandon du vieillard, se laisser façonner, emporter, ne faire plus qu’un avec le seul vrai. Là où est l’océan.
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