Laisser croître en nous l’intelligence spirituelle

Faut-il définir ce qu’est la spiritualité ? C’est la vie de l’esprit, va-ton répondre en première analyse, vie intérieure dans son rapport à l’infini, à l’éternité, à l’absolu. On définit aussi la spiritualité par opposition au temporel. C’est une ouverture et une pratique de vie intérieure qui va au-delà monde des apparences et des réalités manifestées. Nous ne sommes pas des êtres lobotomisés, activés seulement par des désirs corporels des émotions et des sentiments.

La spiritualité nous permet d’imaginer ou d’éprouver l’existence d’un univers au-delà des limites de la perception de nos sens et de la conscience que nous avons de notre finitude temporelle. L’ouverture à la spiritualité est notre capacité à surpasser le cadre de l’analyse rationnelle pour accéder à un autre niveau de connaissance qui est celui de « l’intelligence contemplative » selon la belle expression du philosophe Jean Guitton. Si la vie spirituelle est souvent associée à une dimension religieuse ou mystique, les parcours de spiritualité, les chemins de l’intériorité sont ouverts à tous. Comment devenir des écoutants, comment savoir contempler, recevoir, participer à une œuvre de libération, d’ouverture à ce qui est plus grand que nous ? 

Le chemin de crête de la spiritualité est étroit. On est toujours dans le risque de l’illusion égotique. Ne pas se mentir à soi-même, rester lucide et critique sur sa propre démarche. La spiritualité n’est pas ni une théorie, ni un concept, c’est une pratique. En exergue d’un texte sur les exercices spirituels et la philosophie antique, le philosophe Pierre Hadot citait le sociologue Georges Friedmann qui, dans son ouvrage La puissance et la sagesse, écrivait : « Prendre son vol chaque jour ! Au moins un moment qui peut être bref, pourvu qu’il soit intense. Chaque jour, un exercice spirituel. Sortir de la durée. S’efforcer de dépouiller ses propres passions, les vanités, le prurit de bruit. Fuir la médisance. Dépouiller la pitié et la haine. Aimer tous les hommes libres. S’éterniser en se dépassant ». La démarche spirituelle n’est pas une fuite du monde réel, c’est au contraire une ouverture à une réalité plus grande, qui nous dépasse, 

Le cheminement spirituel fait que l’homme ne se réduit pas à une machine pensante. C’est un double mouvement de retour à l’origine, au point de départ et de projection vers un infini que nos pauvres mots insuffisants nous font appeler « avenir », ou « éternité ». La démarche spirituelle, c’est comprendre que cet “à venir“ a déjà commencé, et que nous sommes déjà dans cet infini. Il faut seulement accepter de le recevoir, de le vivre au-delà des limites de nos vies terrestres, c’est s’ouvrir à l’amour infini par-delà le tumulte des jours. L’éternité, c’est maintenant. 

Il faut d’abord ouvrir un chemin à la spiritualité. Le poète Jean Biès en dessine une esquisse : “La simple éclosion d’une fleur, la rumination des vagues, la cataracte des splendeurs dévalant les degrés du ciel ou le reflet lunaire aux parois du rocher, tout acccompagne la présence de l’esprit. Mais plus encore peut-être, les circonstances qui font la vie de tous les jours tissée de simplicité, pétrie d’humbles services, sont porteuses d’une vertu sanctifiante : à la seule condition que, quoi que l’on fasse, nos actes et nos gestes s’accompagnent d’attention, de minutieux respect, de ferveur, et du constant souvenir, au cœur même de l’obscurité, de la petite lampe – cette aurore miniature – qui doit éclairer le tout de notre vie, l’infime lueur, l’infime semence ignorée, inaperçue et pourtant la seule vraie : l’espérance.[1] »

La spiritualité n’est pas seulement la vie de l’esprit, c’est d’abord une ouverture à un réel qui ne se voit pas. « Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache toujours un puits. » fait dire Antoine de Saint-Exupéry à son petit prince. Le thème du désert, comme celui de la source, du fleuve ou du puits, est inépuisable. Citons à nouveau Jean Bies : « Il n’y a pas de traversée du désert, il n’y a que des marches vers l’oasis ». 

On peut aussi définir la spiritualité comme la vie de l’âme. L’âme, ce mot qui peut sembler étrange aux oreilles de contemporains de France comme l’a si bien noté François Cheng : « ce coin de terre censé être le plus tolérant et le plus libre, où il règne néanmoins comme une “terreur“ intellectuelle, visualisée par le ricanement voltairien. Elle tente d’oblitérer, au nom de l’esprit, en sa compréhension la plus étroite, toute idée de l’âme – considérée comme inférieure ou obscurantiste – afin que ne soit pas perturbé le dualisme corps-esprit dans lequel elle se complaît. À la longue, on s’habitue à ce climat confiné désenchanté. Chose curieuse, il semble que ce phénomène soit avant tout hexagonal, qu’ailleurs le mot en question se prononce plus naturellement, sans susciter grimace ou haussement d’épaules, bien que là aussi son contenu soit devenu souvent vague et flou [2]». Alors, parlons de la spiritualité comme vie de l’âme. Pour bien se faire comprendre, le même François Cheng avançait des formules qui se voulaient « percutantes », telles que : « L’esprit raisonne, l’âme résonne », « L’esprit se meut, l’âme s’émeut », « L’esprit communique, l’âme communie ».

La démarche spirituelle est bien différente de la pensée magique. La pensée magique est un court-circuit. L’homme ne peut se défaire d’un Dieu qui fait des miracles, et qui intervient par moments dans sa création et nos prières de demande apparaissent comme autant de suppliques à un créancier, propriétaire de la vie, dont nous espérons l’indulgence. La démarche spirituelle authentique n’est pas dans cette négociation magique, elle est réception dans le silence et l’adoration, elle est intégration à ce qu’on appelle Dieu, l’ultime réalité, dans la modestie et l’invitation à une dimension plus vaste que les apparences et les perceptions limitées de l’univers et de son mystère. L’homme du XXIème siècle reste aussi démuni devant la puissance et les mystères de la vie que l’homme du Moyen-Âge l’était devant la foudre et le tonnerre. Acceptons d’entrer dans le mystère, dans le silence.


[1] cité par Ultreïa automne 2014

[2] François CHENG – De l’âme. Sept lettres à une amie, Albin Michel 2016

Retrouvez l’ensemble des textes déjà parus, dans la rubrique Archives – © Jean Dumonteil.

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