“Tailler sa pierre“ : tu m’interroges sur cette expression traditionnelle de la pensée occidentale. C’est la belle image médiévale du bâtisseur de cathédrale qui frappe la pierre brute pour lui donner la forme parfaite qui s’ajustera aux autres pierres dans la recherche de la divine proportion. C’est l’image inspirante du ciseau du sculpteur qui fait surgir la beauté d’un bloc de marbre, Praxitèle créant son Aphrodite de Cnide. Nos vies comme un lent travail d’ajustement, de recherche de la justesse, ou comme autant d’œuvres à sculpter et révéler. La pierre dans le surgissement de l’apurement.
Pierre tendre ou dur granit, marbre veiné ou calcaire poreux, toute pierre est unique quand le ciseau l’extrait de la matière, quand l’intelligence de la main lui donne forme. Toute vie est unique. C’est l’ouvrage de l’artisan, l’œuvre, la création toujours renouvelée dans les gestes immémoriaux de la tradition, dans la recherche de la beauté à révéler. Flamboyante cathédrale ou solide buron auvergnat, pont roman ou phare finistérien qui nous parlent en silence.
Ces pierres appartiennent à un autre monde que les modernes parpaings qui produisent nos constructions standardisées. Les parpaings sont ces blocs de béton normés par le moule qui les a créés, un aggloméré de ciment qui donne l’illusion de la robustesse de la pierre. Invention de notre ère industrielle, ne constituent-ils pas le parfait le symbole des conditionnements immédiats et des conformismes actuels ? Au moule de la pensée, tous les parpaings sont identiques, uniformes. D’ailleurs, le parpaing est creux. Et quand le parpaing tombe et se casse, il est inutilisable. Triste parpaing. On ne peut rien faire de ces granulés de béton formatés. Une pierre qui chute et se brise reste encore une pierre qu’on pourra tailler. Homme libre, toujours tu chériras la pierre…
SENTIMENT OCÉANIQUE 