As-tu jamais entendu et vu le rire d’un bébé ? C’est un rire de plénitude, de satiété, rire de joie pure. Premiers éclats de rire. Éclats, comme sous le ciseau du sculpteur la vie jaillit, comme une éclosion. On voudrait retrouver et perpétuer ce rire innocent, de rire de joie pure. Un rire sans malice, et d’ailleurs sans aucun épithète, qualificatif ou complément, pour l’accompagner et le déformer. Rire doit rester un verbe intransitif, loin du rire moqueur qui a toujours besoin d’un tiers aux dépens de qui rire.
Le ricanement voltairien n’a rien de joyeux, pas plus que le premier rire biblique, le rire de Sarah et d’Abraham, rire d’angoisse : « Abraham tomba face contre terre. Il se mit à rire car il se disait : Un homme de cent ans va-t-il avoir un fils, et Sara va-t-elle enfanter à quatre-vingt-dix ans ? » (Gn 17,17), le rire comme expérience spirituelle du doute. Qohèleth nous rappelera plus tard qu’ il y a « un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour gémir, et un temps pour danser » (Qo 3, 4). Le rire, comme la danse, est libératoire.
Que la joie soit dans les cœurs !
Rire ou sourire ? Dans l’Histoire des émotions[1], ouvrage dirigé par Georges Vigarello, l’historien anglais Colin Jones observe qu’ « alors que les Grecs de l’Antiquité distinguaient le sourire du rire, cela ne fut pas le cas parmi les Romains. Le latin classique se contenta du verbe ridere (rire) » Colin Jones remarque qu’il fallut attendre le XIIIe siècle, « près d’un millénaire après la chute de l’Empire romain, le sourire refit surface sur tout le continent dans le vocabulaire de la culture européenne ». L’historien Jacques Le Goff, citant l’énigmatique et doux sourire de la cathédrale de Reims, disait que l’ “invention“ du sourire fut une réalisation du XIIIesiècle[2]. »
Et ce sourire nous restera infiniment mystérieux comme le sourire énigmatique de Mona Lisa. Comme si le rire parlait fort dans l’instant quand le sourire s’exprime silencieusement dans l’éternité. Tous les sourires… Celui de l’ange de Reims, de Mona Lisa ou le tien.
[1] Georges Vigarello (sous la direction de), Histoire des émotions. 1. De l’antiquité aux Lumières, Éditions du Seuil, 2016.
[2] Jacques Le Goff, Un autre Moyen Âge, Gallimard 1999, p. 1352